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si elle garantit, en fait, la permanence de la quantité de vie. Mais il ne paraît pas qu’il en soit ainsi.

L’énergie vitale (même ramenée à des données expérimentales telles que la complication de l’organisation ou répartition du travail, la forme anatomique, et les propriétés de la matière organisée) est chose presque impossible à mesurer. Il entre dans ce concept une idée de qualité, de perfection, qui semble réfractaire au nombre. On ne pourrait dire, en effet, que la quantité d’énergie vitale demeurât constante, si, le même nombre de cellules se conservant, les organismes compliqués faisaient tous place à des organismes rudimentaires.

De plus, s’il est vrai qu’un grand nombre de faits manifestent la permanence des fonctions et des organismes, il faut reconnaître aussi que d’autres faits semblent impliquer des variations physiologiques plus ou moins profondes. N’est-il pas au pouvoir de l’homme de modifier, plus ou moins, certaines espèces végétales et animales, et d’y créer des variétés stables ? La possibilité d’une éducation, même artificielle, ne montre-t-elle pas que les fonctions et les organes, considérés dans leur essence même, n’impliquent pas une immobilité absolue ; et qu’ainsi la quantité de vie, si elle demeure sensiblement la même dans l’ensemble, ne demeure pas telle nécessairement ?

Et, si l’on considère les êtres vivants laissés à eux-mêmes, ne semble-t-il pas qu’il y ait dans certains faits, tels que l’existence d’organes rudimentaires et actuellement inutiles, la disparition de certaines espèces, la perfection croissante des fossiles dans les terrains de formation de plus en plus récente, la marque d’une force de changement, de décadence ou de progrès, demeurant, au sein de la nature elle-même, à côté, au fond de la force de conservation ?

Cette variabilité existe, dira-t-on, mais elle n’implique