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table et capricieuse. Comme les espèces présentent une stabilité et une harmonie frappantes, elles doivent dépendre de principes supérieurs à la matière. Ces principes sont des entités métaphysiques, des types immuables, des formes parfaites agissant sur la matière comme causes finales, comme modèles à réaliser dans la mesure que comporte la nature des éléments.

De ce principe résulte la gradation des êtres vivants. Il n’y a pas précisément entre eux unité de composition et simple différence de degré : ils s’étagent les uns au-dessus des autres, de telle sorte que les supérieurs possèdent plus de qualités ou de perfection que les inférieurs. Le plus suppose le moins, mais en y ajoutant. Ainsi les vivants inférieurs n’ont que la nutrivité ; les animaux ont la nutrivité et la sensibilité ; l’homme, la nutrivité, la sensibilité et l’intelligence. Mais, en même temps, la nature, grâce à la matière continue dont elle dispose, multiplie les intermédiaires entre ces formes, et va des unes aux autres par des transitions à peine sensibles.

Les espèces sont-elles fixes ? Pas absolument. Les types idéaux, en effet, ne sont ni ne peuvent être exactement réalisés par la matière ; ils représentent des modèles autour desquels la nature gravite, qu’elle tend à reproduire, mais qu’elle ne réalise jamais qu’imparfaitement. Donc la fixité de l’espèce est une immobilité tout idéale, permettant, appelant même une variabilité réelle et en un sens indéfinie, en même temps qu’elle s’oppose à ce qu’aucun être franchisse d’une manière durable les bornes de l’espèce à laquelle il appartient.

Dans cette doctrine, les cas tératologiques eux-mêmes trouvent leur explication dans les causes naturelles. Ce sont des dissemblances extrêmes résultant de l’excès ou