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vivant, considéré comme individu, se sert de ce qui l’entoure pour assurer sa propre subsistance. L’action réflexe qui le caractérise a deux faces : l’une, qui regarde la physique et la chimie ; l’autre, qui n’a pas d’analogue dans les objets de ces sciences.

Un phénomène met en saillie cette différence, c’est la mort. Elle ne peut s’expliquer dans le mécanisme : c’est pourquoi Descartes rêvait un développement indéfini de la vie humaine ; et les mécanistes, en général, ne voient aucune impossibilité radicale à ce que, la réparation compensant toujours exactement l’usure, l’être vivant soit immortel. M. Sabatier, professeur à la Faculté des sciences de Montpellier[1], estime que la mort est liée à l’emploi que l’être vivant fait des cellules qui le composent. L’être vivant n’avait, au début, d’autre fonction que celle de durer. Il était alors fort peu différencié. Pour rendre possibles des facultés supérieures, les cellules se sont différenciées et ont acquis des structures compliquées. La perte de leur immortalité potentielle a été la conséquence de ce progrès. Et, aujourd’hui, seules les cellules reproductrices, relativement simples, conservent une immortalité relative, laquelle se réalise soit immédiatement, dans la scissiparité, le bourgeonnement, soit indirectement par voie de rajeunissement plasmo-caryogamique. La cause de la mort est double. Il y a une cause interne, à savoir l’aspiration à s’élever, à dépasser la vie pure et simple, pour atteindre à la connaissance et au sentiment : c’est pour satisfaire cette tendance que s’est produite la différenciation des tissus, origine de leur mortalité. Il y a en outre une

  1. Essai sur la vie et la mort, 1892.