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sée à l’égard du mouvement que certains philosophes s’efforcent d’atténuer ou de faire évanouir. Descartes admettait en ce sens que, lorsqu’une passion se produit en nous par suite d’une action extérieure, nous ne sommes pas condamnés à nous attacher aux pensées que cette passion provoque. Selon lui, nous avons le pouvoir d’appeler devant notre esprit et d’y retenir par l’attention des pensées différentes. Par exemple, quand notre organisme nous imprime un mouvement de colère, nous pouvons amener devant notre conscience, à la place des idées de vengeance, les idées de justice, de modération et de devoir. La pensée, ainsi, n’est pas indissolublement liée à l’organisme. Leibniz, en un sens, va bien plus loin que Descartes, puisqu’il rompt toute communication entre le corps et l’âme, et soutient que la vie des âmes demeurerait la même si tous les corps étaient anéantis. Mais, en revanche, il admet une harmonie préétablie entre les corps et les esprits. L’esprit, toutefois, n’est pas mis pour cela sous la dépendance du corps. C’est le contraire qu’a en vue Leibniz, puisque, pour lui, les causes efficientes sont suspendues aux causes finales. Enfin Kant supprime tout lien entre le sujet moral et le monde du mouvement : pour lui, le noumène, absolument libre des entraves du mécanisme, a la faculté de se déterminer d’une manière absolument autonome.

Ces diverses théories sont ingénieuses ou profondes, mais laissent une forte part à l’hypothèse. Premièrement, d’où sait-on que le lien entre l’ordre mécanique et les ordres supérieurs est lâche et susceptible de ruptures ? Ensuite, qui nous garantit que les ordres de choses ainsi superposés à l’ordre mécanique ne seront pas, eux aussi, des déterminismes, différents peut-être, mais également inflexibles ? Mais ce système