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quelque chose qui diffère de l’esprit, et qui cependant ne doit pas en être séparé. L’on échoue quand on veut déterminer la nature substantielle des choses ; et pourtant on ne peut les abolir. Tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’il y a dans les choses une manière d’être qui suggère à notre esprit l’invention des lois mécaniques. En quoi peut bien consister, en réalité, l’action des choses dans la nature ? C’est ce que nous ne pouvons que conjecturer par analogie, en considérant ce qui se passe en nous. En définitive, la conscience est le seul sentiment de l’être dont nous disposions. Or, les phénomènes qui, chez l’homme, affectent l’esprit dans son union la plus intime avec le corps sont les phénomènes d’habitude, et il semble bien que les effets en aient une certaine ressemblance avec la causalité mécanique. Au point de départ se trouve, au moins dans certains cas, l’activité de l’esprit ; les actions sont rapportées à la pensée comme à leur cause génératrice. Peu à peu elles se détachent de la pensée et se poussent en quelque sorte les unes les autres. C’est ainsi que, dans certains cas et chez certains hommes, les paroles se suivent sans que la pensée les détermine ; l’inertie et la force mécanique se retrouvent dans la persistance de nos états de conscience et dans leur influence réciproque. Cette vue, sans doute, ne résulte pas d’une induction fondée sur les résultats de la science, elle n’est qu’une simple analogie ; mais elle constitue la seule manière dont nous puissions nous représenter la réalité de l’action mécanique. C’est, pour nous, la dégradation de l’action véritable, l’activité suppléée par un lien entre ses produits, dégagée par là même et rendue libre pour des tâches nouvelles. Si de telles actions existent, les lois mécaniques sont la forme que nous leur attribuons pour pouvoir les soumettre au calcul mathé-