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du mouvement réel, tandis que, chez Descartes, il n’existait que des changements relatifs. Il faut distinguer soigneusement entre le newtonisme comme science et le newtonisme comme métaphysique. Le newtonisme comme science se contente, à peu près autant que le peut l’esprit humain, de notions expérimentales ou mathématiques. Mais, si l’on veut ériger cette science en connaissance de la nature telle qu’elle existe en soi, il faut réaliser, et l’espace, et la causalité mécanique, et la force, et les atomes, et même l’attraction, ou tel autre mode d’action de la cause du mouvement. Dès lors surgissent les difficultés si bien mises en lumière par Berkeley, dont le système est tout d’abord la réfutation du newtonisme érigé en métaphysique. Si l’espace, dit Berkeley, si la matière, les atomes, la causalité mécanique, la force, l’attraction et la répulsion sont des réalités objectives, il faut d’abord avouer que ce sont des choses inconnaissables pour notre esprit. Car ce n’est que par une abstraction artificielle que nous les détachons des sensations dont nous avons conscience. Elles ne nous sont jamais données en elles-mêmes et elles ne peuvent l’être. Mais ce n’est pas tout : non seulement de telles choses, si elles existent, sont pour nous comme si elles n’étaient pas, mais nous ne pouvons même pas concevoir qu’elles existent en elles-mêmes. En effet, ces concepts, érigés en choses en soi, deviennent contradictoires : l’espace homogène et infini sans qualités, l’atome étendu et indivisible, la causalité mécanique où ce qui ne peut rien sur soi a pouvoir sur autre chose et qui nous jette dans le progrès à l’infini, l’action d’un corps brut sur un autre, de quelque manière qu’on se la représente : tous ces symboles, pris pour des réalités absolues, deviennent inin-