Page:Boutroux - De l’idee de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duelle mais de la pensée humaine universelle présente en chaque conscience individuelle ; et l’esprit individuel ne fait que retrouver ce que la raison construit et unifie a priori. Mais on peut, semble-t-il, présenter une objection voisine de celle-là. Ou les lois que l’esprit apporte, dirons-nous, trouveront une matière analogue qui s’y conforme, et alors, comment saurons-nous que ces lois viennent de nous plutôt que de l’observation des choses, qu’elles sont connues a priori plutôt qu’a posteriori ? — ou les choses ne se conformeront pas à ces lois, et alors, prétendrons-nous que c’est nous qui avons raison et la nature qui a tort ? Il est manifeste que, du jour où les faits nous apparaîtront avec évidence comme rebelles aux cadres que nous voulons leur imposer, nous travaillerons à nous débarrasser de ces cadres et chercherons à nous former des conceptions plus appropriées aux faits.

Ainsi les lois mécaniques ne sont pas une suite analytique des vérités mathématiques, et ne reposent pas non plus sur des jugements synthétiques a priori. Sont-elles dérivées de l’expérience ? Les anciens ne prétendaient tirer de l’expérience que le général et le probable, c’est-à-dire ce qui arrive ordinairement ώς ἐπί τό πολύ ; ils lui demandaient des règles, non des lois universelles et nécessaires. Mais, pour les modernes, l’induction est comme un mot magique, sous l’influence duquel le fait se transmute en loi. Par l’induction dite scientifique, laquelle n’aurait à peu près rien de commun avec l’induction ancienne, on prétend tirer du contingent l’universel, du particulier le nécessaire. Cependant, si méthodique et si féconde que soit l’induction moderne, jamais elle ne pourra, sans dépasser l’expérience, nous conduire à de véritables lois. Il nous est impossible, en