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absolu, la relation métaphysique de sujet à objet ? Sans doute, nous avons besoin d’unité, mais il est difficile d’établir que ce besoin prime tous les autres et gouverne toute notre vie intellectuelle. En fait, l’histoire de la philosophie nous présente aussi bien des esprits tournés vers le multiple et le changeant que des logiciens épris de réduction à l’unité. Or, si l’unité n’est pas nécessaire, les moyens de l’obtenir ne le sont pas non plus.

Mais on peut aller plus loin. En admettant même que nous éprouvions ce besoin impérieux et absolu de penser les choses, est-il certain que les catégories réalisent la fin qu’on leur assigne, à savoir l’assimilation des choses par l’esprit ? Il semble que l’on ait trop vite accordé ce point à la doctrine kantienne. En effet, penser les choses, c’est comprendre leurs rapports, leurs affinités naturelles ; c’est voir comment, d’elles-mêmes, elles se groupent et s’unifient. Mais les catégories de Kant les laissent, comme elles les prennent, extérieures et étrangères les unes aux autres. Elles les rapprochent artificiellement, comme on rapproche des pierres pour faire une maison. Elles ramènent la nature, qui devrait unir les êtres d’après leur parenté, à l’art, qui les assemble d’après ses convenances. Un paquet de sensations est-il une pensée ?

Ce n’est pas tout, et l’on peut se demander si la position prise par Kant peut être maintenue comme définitive, ou si elle ne doit pas forcément être dépassée dans un sens ou dans l’autre. Plusieurs, on le sait, objectent à Kant que, si les catégories sont purement subjectives, il est inexplicable que la nature s’y conforme. Dans ces termes, l’objection n’est peut-être pas juste, car, dans le kantisme, ce que nous appelons la nature est déjà l’œuvre de l’esprit, non sans doute de la pensée duelle