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trouve pas dans les mathématiques et qu’il faut demander à l’expérience ? C’est la mesure de l’action que les corps exercent les uns sur les autres. En mathématiques, les conséquences se déduisent analytiquement des définitions ; on part de l’identique et on le diversifie. Ici, on part de choses étrangères les unes aux autres, comme le soleil et les planètes, et on établit une dépendance régulière entre ces choses. Il s’agit donc bien d’un rapport mathématique, mais ce rapport ne peut être affirmé ni connu a priori. Et ainsi, ce qu’il y a de nouveau dans la notion de force, c’est, en définitive, l’idée de la causalité physique, ou, plus précisément, l’idée de loi naturelle proprement dite. La force est une dépendance régulière connue expérimentalement entre des choses extérieures l’une à l’autre. Donc il s’y trouve un élément extra-mathématique.

Mais ne peut-on pas dire que l’affirmation des lois naturelles résulte d’une nécessité spéciale de l’esprit ? Après Kant, de profonds philosophes soutiennent aujourd’hui encore que la notion de loi résulte de notre constitution mentale et qu’elle réside dans un jugement synthétique a priori. Ces philosophes justifient leur thèse en disant que cette idée de loi causale nous est nécessaire pour penser les phénomènes, c’est-à-dire pour les ramener à l’unité dans une conscience. Les phénomènes sont, en eux-mêmes, hétérogènes. La notion de loi, en établissant entre-eux des relations universelles et nécessaires, leur confère la seule unité que comporte une multiplicité hétérogène. Cette théorie prête, selon nous, à des objections.

Tout d’abord, est-il évident que nous ayons un besoin irrésistible de penser les phénomènes, de les ramener tous à l’unité, d’établir entre nous et eux, en un sens