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Pascal ; mais, au point de vue de son état actuel qui est l’objet de la science, la matière porte en elle de quoi expliquer son mouvement comme son repos. De cette notion d’inertie on crut d’abord pouvoir conclure à l’abolition de la force. C’est ainsi que Descartes crut pouvoir expliquer tous les phénomènes physiques par la seule loi de la conservation de la quantité de mouvement, corollaire du principe d’inertie. La force, comme telle, est proscrite de son système. Cette philosophie put se développer déductivement, comme la mathématique elle-même, dont elle était le prolongement ; mais vint un moment où on la confronta avec les faits, et alors on la trouva insuffisante. Newton, pour rendre compte du mouvement des astres, jugea nécessaire de rétablir la notion de force. Il part du principe d’inertie, suivant lequel un corps conserve indéfiniment son mouvement uniforme et rectiligne. Mais les astres sont animés d’un mouvement à la fois curviligne et non uniforme. Pour expliquer cette modification du mouvement, il faut admettre qu’une force vient du dehors agir sur le mobile. Cette réapparition de la notion de force n’est pas la restauration de la conception antique. Pour les anciens, la force réside dans une forme supérieure et métaphysique ; elle agit d’en haut, à la manière d’une âme : c’est Dieu lui-même qui, par sa perfection, produit le mouvement des astres. Pour Newton, au contraire, la force est attribuée à la matière elle-même : un atome n’a pas le pouvoir de modifier son propre mouvement, mais il peut modifier le mouvement des autres atomes. C’est ainsi que, sans sortir de la matière, on arrive à expliquer des modifications dans la vitesse et la direction du mouvement. Dieu est éliminé du monde, en tant, du moins, qu’on le considère comme un artiste