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n’en ignore pas absolument la nature. La séparation de la matière et de la forme n’est que logique, elle ne saurait être réelle. Donc, non seulement les lois mathématiques ne sont réelles ni au sens substantialiste, ni au sens idéaliste ; mais elles n’expriment pas même exactement une forme des choses réellement séparable de leur matière. Et cependant on ne peut pas dire que les mathématiques soient une pure convention, un simple jeu de l’esprit. C’est un fait que les mathématiques s’appliquent à la réalité. Mais en quel sens et dans quelle mesure ? C’est ce qu’on ne peut déterminer a priori. Tout ce qu’il est permis de dire, c’est que, l’homme n’étant pas une anomalie dans la nature, ce qui satisfait son intelligence ne doit pas être sans rapport avec le reste des choses. On peut donc conjecturer une correspondance des lois mathématiques avec les lois des choses ; mais c’est l’examen des lois propres et concrètes de la nature qui nous apprendra jusqu’à quel point les lois mathématiques régissent effectivement la réalité.

Quelle est enfin la signification des mathématiques en ce qui concerne la nécessité qui peut régner dans le monde ? Ces lois sont encore bien voisines de la nécessité absolue ; mais elles sont aussi bien éloignées des choses et de la réalité même. Et s’il n’est pas douteux qu’elles n’aient déjà avec l’être un rapport plus étroit que les lois logiques, on ne peut dire quelles y introduisent l’absolue nécessité, car déjà elles ne comportent une déduction rigoureuse que grâce à des axiomes imparfaitement intelligibles et combinés par l’esprit en vue de cette déduction même. Dans quelle mesure la nécessité qui leur est propre règne-t-elle dans les choses ? C’est ce que nous apprendra la con-