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d’affirmer la réalisation actuelle de cet infini. Kant opère une révolution dans la doctrine de l’intelligibilité en admettant deux logiques : l’ancienne, celle d’Aristote, purement formelle, incapable de rien fonder, et la logique transcendantale, qui procède par jugements synthétiques a priori. Enfin Schelling et Hégel, en allant jusqu’à affirmer l’identité des contradictoires, abandonnent ouvertement le point de vue de l’ancienne logique. Celle-ci a donc paru insuffisante pour expliquer ce qui existe, et l’intellectualisme a presque dû la renier pour parvenir à enserrer le réel.

Mais, estiment d’autres philosophes, les empiristes, à quoi bon s’embarrasser des principes a priori de l’intellectualisme ? Point n’est besoin de sortir de la nature pour la comprendre. L’observation et l’induction, conduites suivant une méthode convenable, suffisent à réaliser l’idée moderne de la science. Mais voici que surgit une difficulté, inverse de celle qu’ont rencontrée les rationalistes. Pour Descartes, le problème était de relier le réel à l’universel ; pour Bacon, ce sera de relier l’universel au réel. Pour ce dernier philosophe, en effet, l’esprit est absolument passif, ou plutôt il doit, pour constituer la science, se rendre passif, se faire « table rase », et recevoir, sans y rien mêler, l’action des choses extérieures. Mais Bacon, outre qu’il est encore embarrassé par la conception scolastique de la qualité, exprime bien plutôt un desideratum, qu’il ne démontre la possibilité de réaliser des inductions valables. Locke a bien vu que ce qu’il faut expliquer, c’est la liaison des idées ; et, selon lui, nous lions nos idées à l’aide de facultés qui sont innées en nous. La simple passivité est une explication insuffisante : l’expérience trace bien ses caractères sur une table rase ; mais l’âme, par elle-même,