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se suffisent et n’ont pas besoin de Dieu ? Eadem sunt omnia semper : telle était la devise de Lucrèce, soutenant que les dieux ne s’occupent pas du monde. A ceux qui demandent : Qui a fait les choses ? on répond : Elles n’ont pas été faites, puisque dans leur fond elles ne changent pas et sont éternelles. Newton pensait, en ce sens, que, si les lois ne souffraient aucune exception, la Providence cesserait d’être démontrée. Le système, heureusement, appelait des retouches, dont la réalisation attestait la présence de Dieu. Ainsi pense-t-on en général. Mais lorsqu’il s’agit d’histoire naturelle, tout change : la fixité devient signe de finalité, et c’est le changement qui dénote l’absence d’action providentielle. La preuve que l’interprétation que l’on fait ici de la fixité et de la variabilité ne s’impose pas, c’est que Lamarck, l’auteur du transformisme, rattachait expressément sa doctrine à la croyance en un principe suprême d’ordre et d’harmonie. L’échelle des êtres représente, disait-il, « l’ordre qui appartient à la nature et qui résulte, ainsi que les objets que cet ordre fait exister, des moyens qu’elle a reçus de l’Auteur suprême de toute choses... Par ces moyens, dont elle continue sans altération l’usage, [la nature] a donné et donne perpétuellement l’existence à ses productions ; elles les varie et les renouvelle sans cesse, et conserve ainsi partout l’ordre entier qui en est l’effet » . Et ailleurs : « Ainsi, par ces sages précautions, tout se conserve dans l’ordre établi... ; les progrès acquis dans le perfectionnement de l’organisation ne se perdent point ; tout ce qui parait désordre, anomalie, rentre [96]