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société de vives alarmes au sujet des progrès du scepticisme et du matérialisme. J’en trouve une preuve dans un article de la Bibliographie universelle de Genève, publié en 1836, sur l’état de la philosophie en France. L’auteur signale, depuis 1830, un singulier mélange de doute, d’indifférence, de matérialisme pratique, de licence intellectuelle. Le scepticisme, dit-il, n’ayant plus lieu d’être agressif parce que les croyances ne sont plus oppressives, se tourne en indifférence. Or, l’enseignement de la philosophie, tel qu’il est entendu, n’oppose à cette maladie des âmes que des abstractions et des théories. Dans un pays où l’on devient gouvernant, non plus par la naissance, mais par l’intelligence, c’est de la culture de l’intelligence et de l’âme que dépend l’avenir de la nation. La tâche de la philosophie n’y est plus d’orner l’esprit, mais de diriger, de former l’activité. Elle doit être avant tout éducatrice, et régler ses enseignements sur les besoins de la société. Qu’elle se garde bien d’ailleurs de rejeter le concours des autres forces conservatrices. L’alliance de la philosophie et de la religion notamment est nécessaire, en un temps où tout conspire à perdre la société, si l’on ne sauve les mœurs.

L’homme qui était alors à la tête de l’enseignement en France, Victor Cousin, envisagea de plus en plus les choses à ce point de vue. Vivement attaqué par le clergé, il hésite d’autant plus à riposter qu’il juge funeste à la société une guerre entre la religion et la philosophie. En 1850, il dira à M. de Rémusat : « Il se prépare un