Page:Boutroux - Études d’histoire de la philosophie.djvu/425

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Le gouvernement impérial, après avoir rétabli l’enseignement philosophique dans les lycées, avait créé deux cours de philosophie à la Faculté des Lettres de Paris. En 1810, l’une des chaires devint vacante. Le nom de Royer-Collard fut prononcé devant l’empereur ; et celui-ci, qui se préoccupait de ramener les esprits à des idées conservatrices de l’ordre social, le choisit sur ce qu’il connaissait de sa vie et de son caractère.

Royer-Collard avait été élevé dans un milieu janséniste. Nourri par sa mère et par ses maîtres dans les traditions de Port-Royal, il avait contracté des habitudes de dignité, de gravité, de respect pour les choses morales et religieuses, qui s’alliaient en lui à une verve piquante et à une riche imagination. Il avait étudié et même enseigné les mathématiques. Il avait lu Descartes, Bacon, Leibnitz, Pascal et Bossuet. En 1794, proscrit en qualité de modéré, il se cacha en Champagne et s’y livra aux travaux du labourage. Sur le manche de sa charrue était un pupitre destiné à recevoir un livre de piété : il y mit un volume de Platon. Il unissait l’action à la pensée. S’il n’avait pas conservé la foi religieuse proprement dite, il était demeuré très hostile aux doctrines matérialistes du xviiie siècle.

La nomination dont il fut l’objet le 24 octobre 1810 ne le trouvait nullement étranger aux préoccupations et même aux connaissances philosophiques. Toutefois, il n’était pas prêt à enseigner, et il s’y prépara pendant plus d’un an. Un jour qu’il se promenait sur les quais,