Page:Boutroux - Études d’histoire de la philosophie.djvu/284

Cette page n’a pas encore été corrigée

nature, l’esprit qui se réveille et se déploie ; c’est, par le renoncement au moi individuel, la personne qui se crée, c’est l’homme intérieur qui se substitue à l’homme extérieur.

Quelle est maintenant la vie de l’homme régénéré ? N’est-ce qu’une apathie et une indifférence, une pure réflexion de l’esprit sur lui-même, un anéantissement au sein du rien primordial ? L’esprit, on le sait, n’est pas ce rien inerte, à la conception duquel aboutit la logique humaine par la suppression des différences. Tout être intérieur tend à devenir extérieur, tout infini est le désir d’une forme, tout mystère est un effort pour se révéler, tout esprit est la volonté de devenir un corps. Ainsi en est-il des vertus chrétiennes. Elles ne restent pas à l’état d’abstractions : elles se développent et se manifestent. Elles se manifestent par un complet renoncement à soi et un abandon complet à la volonté de Dieu, par l’humilité, l’amour des hommes, la communion des âmes à travers toutes les différences extérieures, par l’empire sur la nature, c’est-à-dire sur les désirs terrestres, et par la joie, cet avant-goût de l’éternité. Pour ce qui est de l’homme ancien et extérieur, l’homme nouveau ne le détruit pas, mais il se garde de s’oublier en lui. Tu vis dans le monde, chrétien ! tu y exerces un métier honorable. Demeures-y, agis, travaille, gagne l’argent qui t’est nécessaire ; fais produire aux éléments tout ce qu’ils peuvent produire ; cherche dans la terre l’argent et l’or, fais-en des œuvres d’art, bâtis et plante.