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Lucifer est le chef de ces anges rebelles et le premier auteur du mal : il a péché librement, d’après sa volonté propre et sans contrainte.

Le péché s’est réalisé de la manière suivante. Composé de nature et d’esprit, Lucifer a, par sa libre volonté, fixé son imagination sur la nature. Sous le regard de cette magicienne, la nature s’est transfigurée : d’obscure elle est devenue brillante ; défectueuse, elle s’est parée de toutes les perfections simples ; partie, elle s’est enflée jusqu’à apparaître comme le tout. De cette idole l’âme de l’ange s’est éprise, et elle l’a désirée exclusivement. Par là même elle a renié Dieu et s’est séparée de lui.

L’enfer alors a été créé. Lucifer a obtenu ce qu’il voulait : la séparation ; il a obtenu ce résultat, non par l’intervention transcendante de Dieu, mais par l’effet immédiat de la colère ou de la nature, à laquelle il s’était voué. L’enfer, c’est le principe des ténèbres, la nature, la force, la vie pure et simple, livrée à elle-même, opposée dès lors contradictoirement à l’amour et à la lumière, et privée par là de toute direction, de tout gouvernement, de toute harmonie. L’enfer est la vie qui n’a d’autre fin que de vivre. Grâce à Lucifer, la voilà déchaînée.

Ce n’est pas tout. Lucifer a été créé éternel. Le désir de la vie et le désir du bien que Dieu avait mis en lui n’avaient point pour support commun un corps sensible soumis à la succession, et, par suite, capable de rompre avec ses habitudes. Le libre arbitre d’un pur esprit