Page:Boutroux - Études d’histoire de la philosophie.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
SOCRATE

et les choses divines (δαιμόνια), telles que la formation du monde[1], ou bien encore les conséquences éloignées et dernières de nos actions[2]. Or, les dieux nous ont donné la faculté de connaître les premières par le raisonnement, mais ils se sont réservé les secondes[3]. Les physiciens, en spéculant sur les choses divines et en négligeant les choses humaines, intervertissent l’ordre établi par les dieux eux-mêmes : ils dédaignent les connaissances que les dieux ont mises à notre portée, pour tenter de surprendre celles qu’ils se sont réservées.

Chose digne de remarque, nous retrouvons chez Pascal une distinction analogue. Lui aussi[4] divise les choses en humaines et divines et accuse les hommes d’avoir corrompu l’ordre établi par Dieu, en faisant, des choses profanes, l’usage qu’ils devaient faire des choses saintes, et réciproquement, c’est-à-dire en considérant les choses profanes avec le cœur et les divines avec l’esprit. Seulement, chez Pascal, ce sont les choses physiques qui sont les profanes, et les morales qui sont les divines.

Cette ressemblance et cette différence nous font mieux comprendre la pensée de Socrate. C’est le même esprit religieux qui, chez Socrate et chez Pascal, impose une borne à la raison humaine. Mais, pour l’Hellène, l’homme

  1. Xénophon, Mém., I, 1, 11.
  2. Ibid., I, 1, 8.
  3. Ibid., I, 1, 7-8.
  4. De l’Esprit géom., 2e  fragm.