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d’une manière sensible. Que les sophistes ne viennent pas me dire que, par ma doctrine de la nature divine, je confonds Dieu avec le monde. Je ne confonds pas la nature extérieure avec la nature intérieure. Celle-ci est vraiment vivante, et elle est parfaite. L’autre n’a qu’une vie dérivée et demeure imparfaite. Non, le monde extérieur n’est pas Dieu, et ne saurait sans blasphème être appelé Dieu. Dire que Dieu est tout, que Dieu est lui-même et le ciel et la terre et le monde extérieur, c’est parler comme un païen, c’est professer la religion du diable.

Le problème est donc, pour Boehme, de dériver la matière de l’esprit en évitant le théisme, et de fonder la nature sensible sur la nature divine sans tomber dans le panthéisme. Comment Boehme résout-il ce problème ?

Tandis que la naissance de Dieu était une pure génération, c’est-à-dire une production magique accomplie par l’esprit au moyen de ses deux puissances à la fois homogènes et contraires, sans matière préexistante, la naissance du monde est une création, ou production accomplie par un agent spirituel au moyen d’une matière. L’agent spirituel, c’est le Dieu un en trois personnes. La matière, c’est la nature éternelle. Ni l’un ni l’autre de ces deux principes n’est le monde ni ne le contient. Le Dieu personne, comme tel, est un pur esprit. La nature éternelle est une harmonie parfaite où les êtres, quoique distincts, se pénètrent les uns les autres : c’est une multiplicité dont chaque partie, à sa manière, exprime