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termination et son néant que toutes les réalités tangibles de la substance donnée.

La marche de Boehme n’est donc nullement celle des pythagoriciens ni même des néo-platoniciens. Le progrès qui va de la volonté à ses opérations ne peut être assimilé au progrès qui va de la chose indéterminée à la chose déterminée. La théologie de Boehme n’est pas un monisme évolutionniste.

Mais n’est-ce pas en revanche un système dualiste, et ne paraît-il pas que Boehme n’évite un écueil que pour se heurter à l’écueil contraire ? Comment Boehme maintient-il la perfection du principe divin, sinon en posant hors de Dieu, comme sujet du mal, un principe ennemi et coéternel ? Et de ce dernier principe, selon lui, Dieu même est solidaire. Per crucem ad lucem : c’est la loi divine comme la loi humaine. Point de lumières sans ténèbres, point d’action sans matière, point de sujet sans objet, point de Dieu sans nature. Cette coexistence universelle et nécessaire de deux principes, l’un positif, l’autre négatif, n’est-elle pas justement ce qu’on appelle dualisme ?

Il est certes incontestable que Boehme voit dans la matière la condition de la manifestation de l’esprit : c’est même là une pièce essentielle de son système. Mais Bcehme n’entend pas pour cela être dualiste. C’est à ses yeux une monstruosité que de faire du mal l’égal du bien, et de la nature l’égale de Dieu. Le principe négatif n’existe pas par soi, mais seulement