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SOCRATE

FONDATEUR DE LA SCIENCE MORALE[1]


« Les mêmes pensées poussent quelquefois tout autrement dans un autre que dans leur auteur. »
Pascal.

I

Après que les esprits les plus capables de dissiper les nuages qui enveloppent la personne de Socrate, littérateurs curieux, moralistes sagaces, profonds philosophes, historiens érudits, médecins même ont rivalisé d’ardeur pour rassembler et interpréter les documents propres à le faire connaître, peut-il rester quelque chose à dire sur son compte ; et l’écrivain qui aborde un pareil sujet n’est-il pas condamné à se traîner dans la banalité

  1. Publié en 1883 dans le compte rendu de l’Académie des Sciences morales et politiques. En réimprimant ce travail, nous en revoyons la forme sans en modifier le fond. Il en sera de même des travaux suivants. La présente étude concerne moins les sentiments et l’âme de Socrate que sa philosophie et son œuvre. Comme homme, Socrate est, par un côté, un enthousiaste, presque un mystique. Il est l’envoyé d’Apollon, il sent en lui l’influence divine. C’est son originalité singulière d’apporter un zèle religieux à la prédication de la morale rationnelle. Nous considérons ici proprement la doctrine que Socrate a enseignée à ses disciples et léguée à l’humanité.