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XIIe siècle. R. P. D. Guigues.

quitta la Chartreuse rempli d’estime pour ceux qui habitaient ce désert et pour celui qui en était le chef, à qui il adressa une autre lettre où il lui dit : Quel bonheur pour vous d’être caché dans le tabernacle du Seigneur pendant les mauvais jours ! pour moi, je me vois environné de périls : je suis pauvre, dépouillé, un oiseau faible et sans plumes, toujours hors de son nid, exposé aux tourbillons. Ainsi, quoique je ne mérite pas votre compassion, du moins que tant de maux me l’attirent[1].

Entouré de l’estime universelle, chéri de ses frères, à la tête d’un Ordre qui commençait à se répandre, Guigues, ce semble, voyait tous ses désirs accomplis : une chose cependant lui manquait encore. Il n’avait pas été, comme Job et comme Tobie, éprouvé et purifié par la souffrance. Dieu ne lui refusa pas cette grâce, mais la croix qu’il dut porter fut bien lourde, et le calice qu’il eut à boire fut bien amer.

Il vivait donc tranquille et heureux dans son petit monastère, loin du monde et de ses tristesses, voyant autour de lui de fervents religieux qui le remplissaient de joie par leur sainte vie ; l’avenir de sa maison lui paraissait assuré, lorsque soudain, le samedi 30 janvier 1132, un grand bruit se fit entendre[2], puis « une masse immense de neige et de terre, entraînant sur son passage des arbres,

  1. Apud Tracy, op. cit., p. 242.
  2. Le Couteulx, ad ann. 1132. Il reproduit mot à mot le récit de deux ouvrages du temps : La Chronique des cinq premiers Prieurs de la Grande Chartreuse (Labbe, Biblioth. , t. I) et la Vie de saint Étienne d’Obazine qui vint à la Chartreuse quelque temps après l’accident.