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DES RAPPORTS ET DES LIMITES

Nous voilà en mesure maintenant de marquer la place du droit public entre les deux groupes, juridique et historique, dont il forme comme une possession commune, une dépendance indivise, et de définir les influences qui s’exercent des deux côtés sur l’enseignement de cette branche de la science.

L’objet du droit public est de définir les obligations et les droits, non de l’individu, mais des États entre eux, des pouvoirs entre eux, des pouvoirs à l’égard des citoyens. Un caractère consécutif, c’est qu’il n’a dans aucune de ses branches de sanction sûre, efficace, faute d’une autorité supérieure aux deux parties en présence. En droit international, qu’est-ce en général qu’un traité, sinon une convention conclue sous la réserve implicite que chaque contractant reste libre de se dégager, s’il y trouve son intérêt et s’il est ou devient assez fort pour manquer impunément à sa promesse. C’est un pacte sans garantie. En droit constitutionnel, les pays se comptent où la responsabilité des ministres, celle du pouvoir exécutif, ont pu être définies et la sanction organisée par un texte, et — là même — ce texte est presque toujours resté lettre morte, la garantie s’est montrée illusoire et dérisoire. En droit administratif, notre jurisprudence a pu adoucir au profit des citoyens, mais n’a pas atteint dans sa substance la prérogative de l’administration juge et partie. Elle n’a pu que laisser subsister l’immunité des actes d’ordre gouvernemental ; elle fait entendre qu’il y a comme un tacite article 14, écrit dans la force des choses plus catégoriquement que dans la Charte. Une loi tardive a diminué sans la faire disparaître la quasi-irresponsabilité du fonctionnaire. Il serait vain de contester le nom de « droit » des systèmes de forme et de construction juridique, par cela seul que l’observation des règles tutélaires n’y est pas assurée par des actions efficaces et des pénalités définies. Mais il serait très dangereux de perdre de vue qu’ils sont d’un tout autre ordre que nos lois civiles. Le droit public est bien un droit, mais c’en est un très spécial, et imparfait en un sens, puisqu’il lui manque un des attributs juridiques que nous sommes accoutumés à considérer comme essentiels.

Le droit public n’en tient pas moins très étroitement d’un côté au droit privé, comme il tient de l’autre à l’histoire politique : il n’en peut être séparé. Les lois civiles forment comme un fond sur lequel il se découpe avec les caractères soit d’une législation dérivée, soit d’une législation exceptionnelle et dérogatoire. On aurait beaucoup de peine à le pénétrer et à s’en rendre maître, sans cette clef commune de tous les problèmes juridiques. Ajoutons qu’on serait encore moins capable de le bien comprendre, si