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suppose, ne reconstituera jamais qu’une image incomplète de l’objet, bien plus, une image qui en diffère entièrement par sa nature ; la réalité, chaque élément étant conditionné par tous les autres, ne connaît point d’opposition tranchée ; or le propre d’une abstraction est d’être absolue, et par conséquent de faire surgir immédiatement dans l’esprit l’abstraction contraire, si bien que l’esprit est sans cesse tiré d’un extrême à l’autre, par les mots mêmes qu’il emploie ; c’est comme si, dans la langue de l’arithmétique, l’homme ne disposait que des nombres entiers, et ne pouvait marquer que grossièrement, par les premières décimales, les degrés intermédiaires. En résumé, l’intellect chargé de reproduire en lui-même cette réalité immense, mouvante, souple et sinueuse qu’on appelle le monde, ne dispose pour sa construction que de petits matériaux solides, aigus, symétriques, dont les formes régulières n’épousent pas l’infini détail des courbes réelles ; il n’arrive à produire qu’un croquis imparfait, une sorte de schéma, qui ne rappelle que de loin la figure riche et nuancée dont il est la copie. C’est comme un chef-d’œuvre littéraire,