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élevé. Un espace désert avait été mis au monde avec moi et j’avais compris douloureusement que la plus grande partie de mon existence s’était écoulée en lui comme si j’avais dû mourir de ma fatigue et non pas à force d’avoir vécu. Mon cœur m’avait fait entrevoir ce que devait être le bonheur d’un homme plus grand que nature et sauvé de l’épuisement où il avait été conçu. Que n’étais-je cet homme, pour être son bonheur dont le monde n’était que l’aveu !




Ces paroles sont obscures, il faut compter que les événements les éclaireront. En attendant, je les écris dans l’ordre où elles m’ont été inspirées, non sans noter au passage les soins étranges que je prenais en les prononçant à mi-voix. Je pensais à ma femme et les yeux attachés au mouvement de la rue, j’y cherchais des preuves de l’amour qu’elle était censée me porter. Inutile que je m’explique longuement sur ce genre de diversion auquel tout homme, plus ou moins, a eu recours dans les moments où il n’envisageait pas d’autre moyen d’échapper à une incertitude accablante. Mais il est bon que je dise comment cela avait commencé : un étonnement soudain m’avait saisi : la rue était changée, je n’y reconnaissais plus mes regards. Ils avaient dans