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cette image et je pensais avec peine aux raisons qu’il avait eues de l’aimer. Mais il fallait aller plus loin, recevoir de bon cœur cette photographie, scruter sur elle le dessein de l’ami qui me l’avait adressée. Je ne savais comment me mettre à la place de celui qui me jetait au visage, comme un soufflet, la flamme de ces figures humaines mêlées par le hasard dans la dureté rebelle du marbre. Un accident ou le poids du temps, je ne sais, avait naturellement produit ce que l’art d’aucun sculpteur n’aurait pu concevoir. Dans les contours mutilés d’un Apollon la forme d’une femme était venue au monde, claire comme une source, et à peine visible entre la nudité de l’homme et la lumière que celle-ci se substituait.


J’avais sous les yeux un objet plus réel que nature. C’était une chose où mon regard entrait, se faisait un peu plus profond que le jour afin de tirer de soi l’exquise substance dont il la chargeait, souple et tendre et bien que hors de ma portée, toute brûlante de la douceur qui se révèle au toucher. On aurait dit que mon regard, en se pénétrant de lui-même, avait fait loin de moi un nid à ma chair. Et, en fait, ce n’était jamais qu’au dedans de moi qu’il avait progressé et tout le temps que j’avais vu la forme d’une femme devenir en lui tout le poids d’une forme d’homme. Si offensante que paraisse cette contradic-