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menace à travers laquelle je poussais à l’extrême la jouissance de mon repos, comme si je n’avais pu concevoir qu’à travers la peur de sa disparition la profondeur réelle et la valeur absolue de cette béatitude que je goûtais. Mais ce qu’il y avait de plus grave dans cette divagation, c’est que sitôt que j’imaginais un danger, c’était d’une figure humaine que j’avais peur et cette figure ressemblait étonnamment à celle de Monsieur Sureau ; et je m’efforçais en même temps de comprendre comment le visage de mon client arrivait à personnifier pour moi tout ce qui pouvait mettre ma tranquillité en péril.
Je ne le connaissais pas. Au fond, il n’y avait personne de plus secret que cet individu si prompt en apparence à dévoiler ce qui concernait son cœur.
Maintenant que j’étais loin de lui je le voyais mieux avec son air de mystère et la lueur froide et fausse de ses yeux dans ce sombre appartement qu’il ne quittait jamais. Jusqu’à la pluie qui ne tombait pas de la même façon sur ses fenêtres que sur les miennes. Ma mémoire le dépouillait de quelques rides qu’il avait sur le front et je m’apercevais avec une espèce d’effroi qu’il y avait plus de cruauté que de jeunesse dans le nouveau visage que je lui prêtais, pâle et violent, mordu d’un sourire que les contours plutôt sensuels de sa bouche ne pouvaient pas adoucir.
Il ne travaillait pas. Je le pensais riche.