Page:Bousquet - Iris et petite fumée, 1939.djvu/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.
50


qu’ils traversent les regards et tombent au fond de l’âme comme une pierre dans l’eau. On peut toujours perdre son temps, ensuite à examiner celui de la personne que l’on aime. Les yeux ne sortent jamais, même quand ils la voient, de leur extase intérieure. C’est tout au plus si le regard cherche sur elle la preuve que la lumière est bien réelle. Mais sans doute que cet infirme le savait trop bien et je trouvais cruel de lui évoquer un amour heureux. Il fallut toute son insistance pour me décider. Le désir de développer une thèse rend un homme impitoyable même vis-à-vis de sa propre souffrance. Je dois dire qu’il pâlissait en m’écoutant lui parler d’une femme, la mienne, d’après ce que je lui avais laissé entendre.
« Même quand j’étais près d’elle à la toucher, lui dis-je, je ne la voyais pas ; mes yeux étaient l’existence même de sa chair et leur lumière son sourire incroyable ; ils épanouissaient dans ses traits une flamme qui brillait au fond de mes songes. On ne sait pas jusqu’où cela va de regarder au visage quelqu’un dont on a tant rêvé. On essaie inutilement de reposer sa joie sur elle et d’interrompre le cours de sa rêverie dans la contemplation des beautés qui nous ont permis de la reconnaître : on dirait que le regard ne la regarde pas, mais qu’il se désincarne dans sa physionomie et ne s’y pénètre que de