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me penchai vers lui, de manière à regarder par dessus son épaule la photographie qui l’avait ému. La beauté de ce corps faisait, semblait-il, le silence autour d’elle ; et même elle était l’oubli de tout ce qui pouvait l’aimer. Son éclat se produisait dans un monde dont nos paroles nous défendaient l’entrée ; et devant ses formes étincelantes nous n’aurions pu nous deviner mutuellement qu’à force de nous taire l’un et l’autre.
« Quand on voit la vérité, dis-je à Monsieur Sureau, il est trop tard pour l’exprimer. Elle est un monde à elle seule et n’a rien à faire avec la parole.
— Oui, me répondit-il. La vérité est dans un monde et la parole dans un autre où elle est tout, même la vérité… »
Il aura fallu que Monsieur Sureau meure pour que je comprenne ce qu’il avait à me révéler. Je le considérais comme un poète sans comprendre la portée de mon jugement. Je croyais qu’il avait une façon à lui d’arranger les mots, d’y maintenir la sensation à l’état de fraîcheur. Je ne savais pas que ses chants se faisaient en dehors de lui ; et que la poésie parle pour le poète aussitôt que celui-ci désespère de la parole. C’est une fatalité de la condition humaine : la vérité réduit l’âme au silence mais elle est la providence des paroles livrées à elles-mêmes ; elle est ce qui reste d’un homme dans