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coup. Vous ne voyez pas qu’elle est faite pour tirer le regard des hommes du silence des dieux ?… »


Il répéta plusieurs fois de suite cette phrase sur un ton déclamatoire, avec une grande dépense de voix où un tremblement de plus en plus sensible des syllabes trahissait une révolte de tout son être. Il me semble que la vérité dont il avait l’âme toute claire l’armait contre les mots qui lui servaient à l’exprimer. On aurait dit que l’emploi de ces mots gâtés le condamnait à trouver toujours une erreur en gésine au dedans de l’idée qu’il voulait former. Telle est du moins d’observation qu’il fit avec la plus grande simplicité quand il se fût aperçu que je le comprenais de travers :
« Ce que je dis bafoue ce que j’avais à dire. Vous le savez, vous, que je ne peux pas parler sans mettre au défi tout ce qui est le fruit de mon silence. C’est très décourageant et personne n’y peut rien : il faut que ma parole soit l’oraison funèbre de ma pensée. »
Comment, réfléchi comme il l’était, prenait-il ombrage d’un phénomène si naturel ? Son langage délimitait le monde dont sa vision le faisait sortir ; et s’il parlait encore c’était avec l’espoir de toucher quelqu’un qu’il n’était plus en mesure de comprendre, ni, par conséquent, de persuader. Je