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d’ours, nous fûmes effrayés par un bruit extraordinaire : c’était un vent du nord qui arrivait brusquement au travers des forêts, et qui amenait avec lui une neige des plus épaisses et un froid de vingt-sept degrés, de manière qu’il fut impossible aux hommes de rester en place. On les entendait crier en courant dans la plaine, cherchant à se diriger du côté où ils voyaient des feux, espérant trouver mieux ; mais enveloppés dans des tourbillons de neige, ils ne bougeaient plus, ou, s’ils voulaient continuer, ils faisaient un faux pas et tombaient pour ne plus se relever. Plusieurs centaines périrent de cette manière, mais plusieurs milliers moururent à leur place, n’espérant rien de mieux. Tant qu’à nous, nous fûmes heureux qu’un côté de la grange fût à l’abri du vent ; plusieurs hommes vinrent se réfugier chez nous et, par ce moyen, éviter la mort.

Il faut que je cite un trait de dévouement qui s’est passé dans cette nuit désastreuse où tous les éléments les plus terribles de l’enfer semblaient être déchaînés contre nous.

Le prince Émile de Hesse-Cassel faisait partie de notre armée, avec son contingent qu’il fournissait à la France. Son petit corps d’armée était composé de plusieurs régiments d’infanterie et cavalerie. Il était, comme nous, bivaqué sur la gauche de la route, avec le reste de ses malheureux soldats, réduits à cinq ou six cents hommes, parmi lesquels se trouvaient encore environ cent cinquante dragons, mais presque tous à pied, leurs chevaux étant morts ou mangés. Ces braves soldats, succombant de froid, et ne pouvant rester en place par une nuit et un temps aussi abominables, se dévouèrent pour sauver leur jeune prince, âgé, je crois, tout au plus de vingt ans, en le mettant au milieu d’eux pour le garantir du vent et du froid. Enveloppés de leurs grands manteaux blancs, ils restèrent debout toute la nuit, serrés les uns contre les autres ; le lendemain au matin, les trois quarts étaient morts et ensevelis sous la neige, avec plus de dix mille autres de différents corps.

Au jour, lorsque nous regagnâmes la route, nous fûmes obligés, avec le maréchal, de descendre près du ravin, où, la veille, nous avions vu de l’artillerie former son bivac : plus un n’existait ; hommes, chevaux, tous étaient couchés et couverts de neige, les hommes autour de leurs feux, et