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était l’officier que nous avions sauvé du feu de la grange, la nuit d’avant, et qui passait pour avoir beaucoup d’objets précieux et de l’or qu’il avait pris à Moscou, par droit de conquête. Mais tout était perdu : son cheval et son portemanteau avaient disparu. Le maréchal et le colonel, ainsi que ceux qui étaient là, causèrent du sinistre de la grange. L’on parla de plusieurs officiers supérieurs qui s’y étaient enfermés avec leurs domestiques et qui y avaient péri, et comme on savait que j’avais vu ce désastre, on m’en demanda des détails, car l’officier que nous avions sauvé ne savait rien dire ; il était trop affecté.

Il pouvait être neuf heures, la nuit était extraordinairement sombre, et déjà une partie de nous, ainsi que le reste de notre malheureuse armée qui bivaquait autour de l’endroit où nous étions, commençait à se reposer d’un sommeil interrompu par le froid et les douleurs causées par la fatigue et la faim, près d’un feu qui, à chaque instant, s’éteignait, comme les hommes qui l’entouraient ; nous pensions à la journée du lendemain qui devait nous conduire à Smolensk, où, disait-on, nos misères devaient finir, puisque nous devions y trouver des vivres et prendre des cantonnements.

Je venais de finir mon triste repas composé d’un morceau de foie d’un cheval que nos sapeurs venaient de tuer, et, pour boisson, un peu de neige. Le maréchal en avait mangé aussi un morceau que son domestique venait de lui faire cuire, mais il l’avait mangé avec un morceau de biscuit et, par-dessus, il avait bu une goutte d’eau-de-vie ; le repas, comme on voit, n’était pas très friand, pour un maréchal de France, mais c’était beaucoup, pour les circonstances malheureuses où nous nous trouvions.

Dans ce moment, il venait de demander à un homme qui était debout à l’entrée de la grange, et appuyé sur son fusil, pourquoi il était là. Le soldat lui répondit qu’il était en faction : « Pour qui, répond le maréchal, et pourquoi faire ? Cela n’empêchera pas le froid d’entrer et la misère de nous accabler ! Ainsi, rentrez et venez prendre place au feu. » Un instant après, il demanda quelque chose pour reposer sa tête ; son domestique lui apporta un portemanteau et, s’enveloppant dans son manteau, il se coucha.

Comme j’allais en faire autant en m’étendant sur ma peau