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beaucoup déjà se trouvaient brisées, et d’autres, craignant le même sort, s’allégeaient en se débarrassant d’objets inutiles. Ce jour-la, j’étais d’arrière-garde, et, comme je me trouvais tout à fait en arrière de la colonne, à même de voir le commencement du désordre. La route était jonchée d’objets précieux, comme tableaux, candélabres et beaucoup de livres, car, pendant plus d’une heure, je ramassai des volumes que je parcourais un instant, et que je rejetais ensuite pour être ramassés par d’autres qui, à leur tour, les abandonnaient.

C’étaient des éditions de Voltaire, de Jean-Jacques Rousseau et de l’Histoire naturelle par Buffon, reliées en maroquin rouge et dorées sur tranche.

C’est dans cette journée que j’eus le bonheur de faire l’acquisition d’une peau d’ours, qu’un soldat de la compagnie venait, me dit-il, de ramasser dans une voiture brisée, remplie de fourrures. Le même jour, notre cantinière perdit son équipage avec nos vivres et notre grand vase en argent, dans lequel nous avions fait tant de punch.

Le 30, nous arrivâmes à Viasma, ville au schnaps, ainsi nommée, par nos soldats, à cause de l’eau-de-vie que l’on y trouva en allant à Moscou. L’Empereur fit séjour ; notre régiment alla plus avant.

J’oubliais de dire qu’avant d’arriver à cette ville, nous fîmes une grande halte et que, m’étant retiré sur la droite de la route, près d’un bois de sapins, je rencontrai un sergent des chasseurs de la Garde, que je connaissais[1]. Il avait profité d’un feu qui se trouvait tout fait, pour faire cuire une marmite de riz, dont il m’invita à prendre part. Il avait, avec lui, la cantinière du régiment, qui était une Hongroise avec qui il était le mieux du monde, et qui avait encore sa voiture attelée de deux chevaux et bien garnie de vivres, de fourrures et d’argent. Je restai avec eux tout le temps de la halte, plus d’une heure. Pendant ce temps, un sous-officier portugais s’approcha de nous pour se chauffer ; je lui demandai où était son régiment ; il me répondit qu’il était dispersé, mais que lui, il était chargé, avec un déta-

  1. Ce sergent se nommait Guinard ; il était natif de condé (Note de l’auteur.)