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quelques-uns avaient encore des torches en partie allumées ; l’on courut sur eux et on les arrêta. C’étaient ceux qui venaient de mettre le feu au palais ; ils étaient vingt et un. Onze autres furent arrêtés, d’un autre côté, mais qui ne paraissaient pas sortir du château. Ils n’avaient rien sur eux qui indiquât qu’ils aient participé à ce nouvel incendie ; cependant, plus de la moitié furent reconnus pour des forçats.

Tout ce que nous pûmes faire, fut de sauver quelques tableaux et d’autres objets précieux, parmi lesquels se trouvaient des ornements impériaux, comme manteaux en velours, doublés en peau d’hermine, ainsi que beaucoup d’autres choses non moins précieuses qu’il fallut ensuite abandonner.

Il y avait peut-être une demi-heure que le feu avait commencé, qu’un vent furieux s’éleva, et en moins de dix minutes, nous fûmes bloqués par un incendie général, sans pouvoir ni reculer, ni avancer. Plusieurs hommes furent blessés par des pièces de bois enflammées, que la force du vent chassait avec un bruit épouvantable. Nous ne pûmes sortir de cet enfer qu’à deux heures du matin, et, alors, plus d’une demi-lieue de terrain avait été la proie des flammes, car tout ce quartier était bâti en bois, et avec la plus grande élégance.

Nous nous remîmes en route pour retourner dans la direction du Kremlin : en partant, nous conduisions avec nous nos prisonniers, au nombre de trente-deux, et, comme j’avais été chargé de la garde de police pendant la nuit, je fus aussi chargé de l’arrière-garde et de l’escorte des prisonniers, avec ordre de faire tuer à coups de baïonnette ceux qui voudraient se sauver ou qui ne voudraient pas suivre.

Parmi ces malheureux, il se trouvait au moins les deux tiers de forçats, avec des figures sinistres ; les autres étaient des bourgeois de la moyenne classe et de la police russe, faciles à reconnaître à leur uniforme.

Pendant que nous marchions, je remarquai, parmi les prisonniers, un individu affublé d’une capote verte assez propre, pleurant comme un enfant, et répétant à chaque instant, en bon français : « Mon Dieu ! j’ai perdu dans