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Dans la nouvelle direction que nous venions de prendre, nous laissions le Kremlin sur notre gauche. Pendant que nous marchions, le vent nous envoyait des cendres chaudes dans les yeux, et nous empêchait d’y voir ; nous nous enfonçâmes dans les rues, sans autre accident que d’avoir les pieds un peu brûlés, car il fallait marcher sur les plaques des toits, ainsi que sur les cendres qui étaient encore brûlantes, et qui couvraient toutes les rues.

Nous avions déjà parcouru un grand espace, quand, tout à coup, nous trouvons notre droite à découvert ; c’était le quartier des juifs, où les maisons, bâties toutes en bois, et petites, avaient été consumées jusqu’au pied : à cette vue, notre guide jette un cri et tombe sans connaissance. Nous nous empressâmes de le débarrasser de la charge qu’il portait : nous en tirâmes une bouteille de liqueur et nous lui en fîmes avaler quelques gouttes ; ensuite, nous lui en versâmes sur la figure. Un instant après, il ouvrit les yeux. Nous lui demandâmes pourquoi il s’était trouvé malade. Il nous fit comprendre que sa maison était la proie des flammes, et que probablement sa famille avait péri, et, en disant cela, il retomba sans connaissance, de manière que nous fûmes obligés de l’abandonner, malgré nous, car nous ne savions que devenir sans guide, au milieu d’un pareil labyrinthe. Il fallut, cependant, se décider à quelque chose : nous fîmes prendre notre charge par un de nos hommes, et nous continuâmes à marcher ; mais, au bout d’un instant, nous fûmes forcés d’arrêter, ayant des obstacles à franchir.

La distance à parcourir pour atteindre une autre rue était au moins de trois cents pas ; nous n’osions franchir cet espace, à cause des cendres chaudes qui allaient nous aveugler. Pendant que nous étions à délibérer, un de mes amis me propose de ne faire qu’une course ; je conseillai d’attendre encore ; les autres étaient de mon avis, mais celui qui m’avait fait cette proposition, voyant que nous étions irrésolus, et sans nous donner le temps de la réflexion, se mit à crier : « Qui m’aime me suit ! » Et il s’élance au pas de course ; l’autre le suit avec deux de nos hommes, et moi je reste avec celui qui avait la charge, qui consistait encore en trois bouteilles de vin, cinq de liqueurs, et des fruits confits.