Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en chargeâmes le juif, qui porta tout sous notre protection. Il était jour lorsque nous arrivâmes près de la première enceinte du Kremlin : nous passâmes sous une porte bâtie en pierre grise, surmontée d’un petit clocher où il y avait une cloche, en l’honneur d’un grand saint Nicolas qui se trouvait dans une niche dessous la porte, et à gauche en entrant. Ce grand saint, qui avait au moins six pieds, et richement habillé, était adoré par chaque Russe qui passait, même les forçats : c’est le patron de la Russie.

Lorsque nous fûmes au-delà de la première enceinte, nous tournâmes à droite ou, après avoir longé une rue que nous eûmes beaucoup d’embarras de traverser, à cause du désordre qu’il y avait par suite du feu qui venait de se déclarer dans plusieurs maisons où s’étaient établies des cantinières de la Garde, nous arrivâmes, non sans peine, contre une haute muraille surmontée de grandes tours. De distance en distance, de grandes aigles dorées dominent au haut des tours. Après avoir passé une grande porte, nous nous trouvâmes dans la place et vis-à-vis du palais. L’Empereur y était depuis la veille, car, du 14 au 15, il avait couché dans un faubourg.

À notre arrivée, nous y rencontrâmes des amis du 1er régiment de chasseurs qui étaient de piquet et qui nous retinrent à déjeuner. Nous y mangeâmes de bonnes viandes, chose qui ne nous était pas arrivée depuis longtemps ; nous y bûmes aussi d’excellent vin. Le juif, que nous avions toujours gardé avec nous, fut forcé, malgré toute sa répugnance, de manger avec nous et de goûter du jambon. Il est vrai de dire que les chasseurs, qui avaient beaucoup de lingots en argent qui venaient de l’hôtel de la Monnaie, lui promirent de faire des échanges ; ces lingots étaient aussi gros qu’une brique et en avaient la forme : il s’en est trouvé beaucoup.

Il était près de midi que nous étions encore à table avec nos amis, le dos appuyé contre des grosses pièces de canon monstre, qui sont de chaque côté de la porte de l’arsenal qui est en face du palais, lorsqu’on cria : « Aux armes ! » Le feu était au Kremlin. Un instant après, des brandons de feu tombaient dans la cour où se trouvaient de l’artillerie de la Garde, avec tous les caissons ; à côté se trouvait une