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passant la main sur la figure, l’embrassant quelquefois, et sans verser une larme. Enfin, fatigué de voir une scène qui me saignait le cœur, je la fis entrer où était le poste ; je lui présentai un verre de liqueur qu’elle avala avec plaisir, et puis un second, ensuite un troisième, et tant que l’on voulut lui en donner. Elle finit par nous faire comprendre qu’elle resterait pendant trois jours où elle était, en attendant que l’individu mort soit ressuscité ; en cela, elle pensait, comme le vulgaire des Russes, qu’au bout de trois jours l’on revient ; elle finit par s’endormir sur un canapé.

À cinq heures, notre compagnie revint sur la place ; elle était de nouveau commandée de piquet, de manière que, croyant me reposer, je fus encore de service pour vingt-quatre heures. Le reste du régiment, ainsi qu’une partie du reste de la Garde, était occupé à maîtriser le feu qui était dans les environs du Kremlin ; l’on en vint à bout pour un moment, mais pour recommencer ensuite plus fort que jamais.

Depuis que la compagnie était de retour sur la place, le capitaine avait fait partir des patrouilles dans différents quartiers : une fut envoyée encore du côté des bains, mais elle revint un instant après, et le caporal qui la commandait nous dit qu’au moment où il arrivait, l’établissement s’écroula avec un bruit épouvantable, et que les étincelles, emportées au loin par un vent d’ouest, avaient mis le feu à différents endroits.

Pendant toute la soirée et une partie de la nuit, nos patrouilles ne faisaient que de nous amener des soldats russes que l’on trouvait dans tous les quartiers de la ville, le feu les faisant sortir des maisons où ils étaient cachés. Parmi eux se trouvaient deux officiers, l’un appartenant à l’armée, l’autre à la milice : le premier se laissa désarmer de son sabre, sans faire aucune observation, et demanda seulement qu’on lui laissât une médaille en or pendue à son côté ; mais le second, qui était un jeune homme, et qui, indépendamment de son sabre, avait encore une ceinture remplie de cartouches, ne voulait pas se laisser désarmer, et, comme il parlait très bien français, il nous disait qu’il était de la milice : c’étaient là ses raisons, mais nous finîmes par lui faire comprendre les nôtres.