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que c’étaient des cantinières de l’armée qui étaient aux prises avec des Russes. En entrant, nous vîmes épars, çà et là, plusieurs costumes de différentes façons, qui nous parurent très riches, et nous vîmes venir à nous deux dames tout échevelées. Elles étaient accompagnées d’un jeune garçon de douze à quinze ans ; elles implorèrent notre protection contre des soldats de la police russe, qui voulaient incendier leur habitation, sans leur donner le temps d’emporter leurs effets, parmi lesquels se trouvait la robe de César, le casque de Brutus et la cuirasse de Jeanne d’Arc, car ces dames nous apprirent qu’elles étaient comédiennes, et françaises, mais que leurs maris étaient partis de force avec les Russes. Nous empêchâmes que, pour le moment, la maison ne fût brûlée ; nous nous emparâmes de la police russe, ils étaient quatre, que nous conduisîmes à notre régiment qui était toujours sur la place du Gouvernement, où nous arrivâmes après bien des peines, à deux heures du matin, précisément du côté opposé à celui d’où nous étions partis.

Lorsque le colonel sut que nous étions de retour, il vint nous trouver pour nous témoigner son mécontentement, et nous demanda compte du temps que nous avions passé, depuis la veille à sept heures du soir. Mais lorsqu’il vit nos prisonniers et notre homme blessé, et que nous lui eûmes conté les dangers que nous avions courus depuis l’instant où nous étions partis, il nous dit qu’il était satisfait de nous revoir, car nous lui avions donné beaucoup d’inquiétude.

En jetant un regard sur la place où était bivaqué le régiment, il me semblait voir une réunion de tous les peuples du monde, car nos soldats étaient vêtus en Kalmoucks, en Chinois, en Cosaques, en Tartares, en Persans, en Turcs, et une autre partie couverte de riches fourrures. Il y en avait même qui étaient habillés avec des habits de cour à la française, ayant, à leurs côtés, des épées dont la poignée était en acier et brillante comme le diamant. Ajoutez à cela la place couverte de tout ce que l’on peut désirer de friandises, du vin et des liqueurs en quantité, peu de viande fraîche, beaucoup de jambons et de gros poissons, un peu de farine, mais pas de pain.

Ce jour-là, 15, le lendemain de notre arrivée, le régiment quitta la place du Gouvernement à 9 heures du matin, pour