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Tout à coup, l’un d’eux me dit : « Mon sergent, j’ai quelque chose à vous remettre ! Vous devez vous souvenir qu’en partant de Moscou, vous m’avez chargé d’un paquet, le voilà tel que vous me l’avez donné ; il n’a jamais été tiré de mon sac ! » Le paquet était une capote militaire en drap fin, d’un gris foncé, que j’avais fait faire, pendant notre séjour à Moscou, par les tailleurs russes à qui j’avais sauvé la vie, l’autre objet était un encrier que j’avais pris sur une table, au palais de Rostopchin, au moment de l’incendie, pensant que c’était de l’argent, mais ce n’était pas tout à fait cela.

L’année commençait bien pour moi ; je voulus qu’elle fût de même pour celui qui me rendait un si grand service. Je lui donnai vingt francs. Ensuite je n’eus rien de plus pressé que d’endosser ma nouvelle capote[1].

Autre surprise non moins agréable : en mettant les mains dans les poches de ma nouvelle capote, j’en retirai un foulard des Indes où, dans un des coins bien noué, je trouvai une petite boîte en carton renfermant cinq bagues montées en belles pierres : cette boîte que je pensais avoir mise dans mon sac, je la retrouvais pour faire un cadeau à Mme  Gentil ! Aussi la plus belle lui fut-elle destinée. Après avoir dit à mes deux soldats d’attendre jusqu’à l’heure de l’appel pour les faire rentrer à la compagnie et leur faire délivrer un billet de logement, je les laissai pour retourner au mien.

Chemin faisant, j’achetai un gros pain de sucre que j’offris à mon hôtesse, ainsi que la bague, en la priant de la garder comme un souvenir, car elle venait de Moscou. Elle me demanda combien je l’avais achetée ; je lui répondis que je l’avais payée bien cher, et que, pour un million, je ne voudrais pas en aller chercher une pareille.

À onze heures, je retournai sur la place du palais. Il y avait déjà beaucoup de monde, notre nombre était presque doublé depuis trois jours ; on aurait dit que ceux que l’on croyait morts étaient ressuscités pour venir se souhaiter une bonne année, mais c’était triste à voir, car un grand nombre étaient sans nez ou sans doigts aux mains et aux

  1. Cette capote à servi à un de mes frères. Je la laissai chez mes parents, à mon retour de cette campagne, lorsque je venais d’être nommé lieutenant et que je repartais pour la campagne de 1813. (Note de l’auteur.)