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avoir reçu deux graves blessures dans une affaire auprès de Dantzig, reconnu incapable de continuer à servir, il avait reçu son congé ; qu’après cela il avait préféré rester dans ce pays et se marier, puisqu’il avait une connaissance, à retourner dans son pays qui était la Champagne Pouilleuse, où il ne possédait absolument rien.

Le lendemain 30 décembre, je fus, avec Grangier, faire une visite à mon brave Picart ; un grenadier qui avait été logé avec lui m’avait enseigné son logement.

Lorsque nous y fûmes arrivés, une femme habillée de noir, et qui avait l’air triste, nous montra sa chambre située à l’extrémité d’un long corridor. Nous vîmes que la porte était à demi ouverte. Nous nous arrêtâmes pour écouter la grosse voix de Picart, qui chantait son morceau favori, sur l’air du Curé de Pomponne :

Ah ! tu t’en souviendras, larira,
Du départ de Boulogne !

Notre surprise fut grande en lui voyant un visage blanc comme la neige, car il avait un masque de peau qui lui couvrait toute la figure. Il nous conta sa mésaventure ; ensuite il se traita de conscrit, de vieille bête : « Tenez, mon pays, me dit-il, c’est comme le coup de fusil dans la forêt, la nuit du 23 novembre. Je vois que je ne vaux plus rien. Cette malheureuse campagne m’a usé. Vous verrez, continua-t-il, qu’il m’arrivera malheur ! » Et, en disant cela, il s’empara d’une bouteille de genièvre qui était sur la table, et, prenant trois tasses sur la cheminée, il les remplit, pour boire, nous dit-il, à notre bonne arrivée. Nous le remerciâmes : « Eh bien ! nous dit-il, nous allons passer la journée ensemble. Je vous invite à dîner ! » Aussitôt il appela la femme, qui se présenta en pleurant. Je demandai à Picart ce qu’elle avait. Il me conta que, le matin, l’on avait enterré son oncle, vieux célibataire caboteur ou corsaire, très riche, à ce qu’il paraît, et que, par suite, il y avait grand gala à la maison : qu’il y était invité, et que c’était pour cela qu’il nous invitait aussi, parce qu’il y aurait des noisettes à croquer. Mais, se reprenant, il nous dit qu’il faudrait mieux faire apporter le dîner dans la chambre que de passer notre temps avec un tas de pleurnicheuses qui allaient faire sem-