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faiblesse était occasionnée par le bain et aussi par les misères et fatigues que j’avais éprouvées.

Mme  Gentil — c’était le nom de la dame — voulut me faire prendre un bouillon qu’elle m’apporta et qu’elle voulut me faire prendre elle-même, en me soutenant la tête de son bras gauche. Je me laissai faire. Il y avait si longtemps que je n’avais été câliné !

Mme  Gentil était d’une beauté remarquable. Elle avait la taille mince et flexible, des yeux noirs et, à son teint blanc et vermeil, on reconnaissait une belle femme du Nord. Elle avait vingt-quatre ans. Il me souvint que l’on m’avait dit qu’elle avait épousé un Français ; lui ayant demandé si cela était vrai, elle me répondit que c’était la vérité.

En 1807, un convoi de blessés français venant des environs de Dantzig, arriva à Elbing et, comme l’hôpital était rempli de malades, ces blessés furent logés chez les habitants : « Pour notre compte, me dit-elle, nous eûmes un hussard blessé d’un coup de balle dans la poitrine et d’un coup de sabre au bras gauche. Ma mère et moi, nous lui donnâmes des soins qui hâtèrent sa guérison. — Alors, lui dis-je, en reconnaissance de ce service, il vous épousa ? » Elle me répondit en riant que c’était vrai. Je lui dis que j’en aurais bien fait autant, parce qu’elle était la plus belle femme que j’aie jamais vue. Mme  Gentil se mit à rire, à rougir et à me parler, et elle parlait probablement encore, quand je m’endormis pour ne me réveiller que le lendemain à neuf heures du matin.

Pendant quelques moments, je ne me souvins plus où j’étais ; la domestique entra accompagnée de Mme  Gentil qui m’apportait du café, du thé et des petits pains. Il y avait longtemps que je m’étais trouvé à pareille fête ! J’oubliais le passé pour ne plus penser qu’au présent et à Mme  Gentil. J’oubliais même mes camarades.

Mme  Gentil me regardait attentivement, ensuite, me passant la main sur la figure, elle me demanda ce que j’avais ; je lui répondis que je n’avais rien : « Mais si, me dit-elle, vous êtes bouffi, vous avez la figure enflée ! » Ensuite, elle me conta qu’un sous-officier de la Garde impériale était venu, la veille dans l’après-midi, en lui demandant s’il n’y avait pas un sous-officier logé chez elle ; elle lui