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je ne balançai pas un instant à me mettre à l’œuvre. Il n’y avait pas de plaie, on voyait seulement une forte rougeur. Je fis signe à un paysan de tenir le malade par les deux épaules et à la femme de tenir la main. Alors j’ajustai, je pense, assez bien l’os cassé, comme j’aurais fait d’un morceau de bois. D’abord, je tâtonnai. Pendant ce temps, le diable criait et faisait de vilaines grimaces. Enfin je lui appliquai des compresses trempées dans le schnapps, ensuite quatre lattes que je lui serrai avec des bandes de toile. Enfin, l’opération finie, il se trouva mieux, et me dit que j’étais un brave homme. La femme et le bourgmestre me firent des compliments ; alors je respirai. Pour me récompenser, on me donna un grand verre de genièvre.

« Mais ce n’était pas tout : le bourgmestre me fit comprendre qu’il fallait que j’aille voir une femme qui, depuis deux jours, souffrait horriblement ; c’était une jeune femme enceinte qui ne pouvait accoucher. On avait été à Kowno pour un accoucheur, mais tout était en déroute à cause des Russes et des Français, de sorte que l’on n’avait pu en trouver : « Ordinairement, me dit-il, ce sont les vieilles femmes qui font ce service, mais il paraît que l’enfant se présente mal ». Je voulus faire comprendre au bourgmestre qu’ayant perdu mes instruments de chirurgien, je ne pouvais pas opérer et que, d’ailleurs, je n’étais pas accoucheur, que je n’y connaissais rien. Mais je ne pus me faire comprendre, ou l’on pensa qu’il y avait, de ma part, mauvaise volonté : il fallut marcher. Je fus conduit par deux paysans et trois femmes à l’extrémité du village. Je ne sais si c’est parce que je sortais d’une chambre chaude, mais j’avais un froid de chien. Enfin, nous arrivons.

« On me fait entrer dans une chambre où je trouve trois vieilles femmes que l’on aurait pu comparer aux trois Parques : elles étaient auprès d’une jeune femme étendue sur un lit et qui, par moments, jetait des cris bien plus forts que l’homme au bras cassé. Une des vieilles me fit approcher de la malade, une autre leva la couverture et une troisième la chemise. Jugez de mon embarras ! Sans rien dire, je regardais les trois vieilles, afin de lire dans leurs yeux ce qu’elles voulaient que je fasse. Elles aussi attendaient, en me regardant, ce que j’allais faire : la malade, de