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D’abord je vis des soldats, au nombre de plus de trente, dont quelques-uns dormaient, et d’autres, autour de plusieurs feux, faisaient cuire du cheval et du riz. À droite, j’aperçus trois hommes autour d’une gamelle de riz. Je me laissai tomber à côté de ces derniers. Un instant après, j’essayai de parler à l’un d’eux. Pour commencer, je le tirai par sa capote ; il me regarda sans me rien dire. Alors, d’un ton piteux, je lui dis assez bas, afin que d’autres ne pussent l’entendre : « Camarade, je vous en prie, laissez-moi manger quelques cuillerées de riz, en vous payant. Vous me rendrez un grand service, vous me sauverez la vie ! » En même temps je lui présentai deux pièces de cinq francs, qu’il accepta, en me disant : « Mangez ! » Il me remit un plat en terre avec sa cuiller, et me céda aussi sa place près du feu. Je mangeai environ quinze cuillerées de riz qu’il restait encore, pour mes dix francs.

Mon repas fini, je regardai autour de moi afin de voir si je ne verrais pas le vieux chasseur. Je l’aperçus près d’un râtelier ; il était occupé à découper un bonnet à poil pour en faire un couvre-oreilles. Ce bonnet était celui du grenadier hollandais qu’il avait ramassé, lorsque je l’avais vu se baisser. J’allai de son côté pour me reposer ; mais à peine étais-je étendu sur la paille, que la sentinelle cria : « Alerte ! » en disant qu’elle apercevait des Cosaques. Aussitôt, tout le monde se lève et prend ses armes. On entendit crier : « Ami, Français ! » Deux cavaliers entrèrent dans la grange et, descendant de cheval, se firent connaître ; mais plusieurs les interpellèrent, et surtout le vieux chasseur qui leur dit : « Comment se fait-il que vous êtes à cheval et f… comme des Cosaques ? Probablement pour piller et détrousser les pauvres Français blessés ou malades ? — Ce n’est pas cela du tout, répond l’un des deux cavaliers, mais à nous voir, on le croirait. Nous pouvons vous prouver le contraire, et lorsque nous serons en place, nous vous conterons cela. » Celui qui venait de répondre, après avoir attaché les deux chevaux et leur avoir donné de la paille, qui se trouvait en grande quantité dans la grange, revint près de son compagnon qui paraissait marcher avec peine et, le prenant par le bras, vint le placer près de moi. Lorsqu’ils eurent mangé un morceau de pain et bu de l’eau-de-vie dont ils parais-