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voir personne, pas même une dame, pour écouter notre, musique qui jouait l’air La victoire est à nous ! Nous ne savions à quoi attribuer cette cessation de tout bruit. Nous nous imaginions que les habitants, n’osant pas se montrer, nous regardaient par les jalousies de leurs croisées. On voyait seulement, çà et là, quelques domestiques en livrée et quelques soldats russes.

Après avoir marché environ une heure, nous nous trouvâmes près de la première enceinte du Kremlin. Mais l’on nous fit tourner brusquement à gauche, et nous entrâmes dans une rue plus belle et plus large que celle que nous venions de quitter, et qui conduit sur la place du Gouvernement. Dans un moment où la colonne était arrêtée, nous vîmes trois dames à une croisée du rez-de-chaussée.

Je me trouvais sur le trottoir et près d’une de ces dames, qui me présenta un morceau de pain aussi noir que du charbon et rempli de longue paille. Je la remerciai et, à mon tour, je lui en présentai un morceau de blanc que la cantinière de notre régiment, la mère Dubois, venait de me donner. La dame se mit à rougir et moi à rire ; alors elle me toucha le bras, je ne sais pourquoi, et je continuai à marcher.

Enfin, nous arrivâmes sur la place du Gouvernement ; nous nous formâmes en masse, en face du palais de Rostopchin, gouverneur de la ville, celui qui la fit incendier. Ensuite l’on nous annonça que tout le régiment était de piquet, et que personne, sous quelque prétexte que ce soit, ne devait s’absenter. Cela n’empêcha pas qu’une heure après, toute la place était couverte de tout ce que l’on peut désirer, vins de toutes espèces, liqueurs, fruits confits, et une quantité prodigieuse de pains de sucre, un peu de farine, mais pas de pain. On entrait dans les maisons qui étaient sur la place, pour demander à boire ou à manger, et comme il ne s’y trouvait personne, l’on finissait par se servir soi-même. C’est pourquoi l’on était si bien.

Nous avions établi notre poste sous la grand’porte du palais, où, à droite, se trouvait une chambre assez grande pour y contenir tous les hommes de garde, et quelques officiers russes prisonniers que l’on venait de nous conduire et que l’on avait trouvés dans la ville. Pour les premiers que