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faisons notre entrée en marchant en colonne serrée par pelotons, musique en tête. L’avant-garde, dont je faisais partie, était composée de trente hommes : M. Serraris, lieutenant de notre compagnie, la commandait.

À peine étions-nous dans le faubourg, que nous vîmes venir à nous plusieurs de ces misérables que l’on avait chassés du Kremlin ; ils avaient tous des figures atroces, ils étaient armés de fusils, de lances et de fourches. À peine avions-nous passé au pont qui sépare le faubourg de la ville, qu’un individu, sorti de dessous le pont, s’avança au-devant du régiment : il était affublé d’une capote de peau de mouton, une ceinture de cuir lui serrait les reins, des longs cheveux gris lui tombaient sur les épaules, une barbe blanche et épaisse lui descendait jusqu’à la ceinture. Il était armé d’une fourche à trois dents, enfin tel que l’on dépeint Neptune sortant des eaux. Dans cet équipage, il marcha fièrement sur le tambour-major, faisant mine de le frapper le premier : le voyant bien équipé, galonné, il le prenait peut-être pour un général. Il lui porta un coup de sa fourche que, fort heureusement, le tambour-major évita, et, lui ayant arraché son arme meurtrière, il le prit par les épaules et, d’un grand coup de pied dans le derrière, il le fit sauter en bas du pont et rentrer dans les eaux d’où il était sorti un instant avant, mais pour ne plus reparaître, car, entraîné par le courant, on ne le voyait plus que faiblement et par intervalles ; ensuite, on ne le vit plus.

Nous en vîmes venir d’autres, qui faisaient feu sur nous avec des armes chargées ; il y en avait même qui n’avaient que des pierres en bois à leurs fusils. Comme ils ne blessèrent personne, l’on se contenta de leur arracher leurs armes et de les briser, et, lorsqu’ils revenaient, l’on s’en débarrassait par un grand coup de crosse de fusil dans les reins. Une partie de ces armes avaient été prises dans l’arsenal qui se trouvait au Kremlin ; de là venaient les fusils avec des pierres en bois, que l’on met toujours, lorsqu’ils sont neufs et au râtelier. Nous sûmes que ces misérables avaient voulu assassiner un officier de l’état-major du roi Murat.

Après avoir passé le pont, nous continuâmes notre marche dans une grande et belle rue. Nous fûmes étonnés de ne