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Une des femmes me dit que c’était signe de mort. Cela me fit de la peine, parce que nous touchions au terme de nos souffrances. J’avais fait tout ce qu’il avait été possible de faire pour le sauver, comme il aurait fait pour moi, car il y avait cinq ans qu’il était dans la compagnie, et se serait fait tuer pour moi : dans plus d’une occasion il me le prouva, surtout en Espagne.

La douce chaleur qu’il faisait dans cette chambre me fit éprouver un bien-être auquel j’étais bien loin de m’attendre ; je ne me sentais plus de douleurs, de sorte que je dormis pendant deux ou trois heures, comme il ne m’était pas arrivé depuis mon départ de Moscou.

Je fus éveillé par un des soldats du train qui me dit : « Mon sergent, je pense que tout le monde part, car l’on entend beaucoup de bruit : tant qu’à nous, nous allons nous réunir sur la place, d’après l’ordre que nous en avons reçu hier. Pour votre soldat, ajouta-t-il, il ne faut plus y penser, c’est un homme perdu ! »

Je me levai pour le voir : en approchant, je trouvai, à ses côtés, les deux femmes. La plus jeune me remit une bourse en cuir qui contenait de l’argent, en me disant qu’elle était tombée d’une des poches de sa capote. Il pouvait y avoir environ vingt-cinq à trente francs en pièces de Prusse, et autres monnaies. Je donnai le tout aux deux femmes, en leur disant d’avoir soin du malade jusqu’à son dernier moment, qui ne devait pas tarder, car à peine respirait-il encore. Elles me promirent de ne pas l’abandonner.

Le bruit qui se faisait entendre dans la rue allait toujours croissant. Il faisait déjà jour et, malgré cela, nous ne pouvions voir beaucoup, car les petits carreaux des vitres étaient ternis par la gelée et le ciel, couvert d’épais nuages, nous présageait encore beaucoup de neige.

Nous nous disposions à sortir, quand, tout à coup, le bruit du canon se fait entendre du côté de la route de Wilna, et très rapproché de l’endroit où nous étions. À cela se mêlait la fusillade et les cris et jurements des hommes. Nous entendons que l’on frappe sur des individus : aussitôt, nous pensons que les Russes sont dans la ville et que l’on se bat ; nous saisissons nos armes ; les deux soldats allemands, qui ne sont pas, comme nous, habitués à cette musique, ne