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nouveau logement, nous trouvâmes les soldats du train occupés à manger la soupe. Ils n’avaient pas l’air d’avoir eu de la misère ; cela se conçoit, car, depuis le mois de septembre, ils étaient à Kowno.

Avant de me jeter sur la paille, je demandai au paysan s’il voulait venir avec moi prendre un soldat malade pour le conduire où nous étions ; que je lui donnerais cinq francs, et, en même temps, je lui fis voir la pièce. Le paysan n’avait pas encore répondu, que les soldats allemands nous proposèrent de leur donner la préférence : « Et nous, dit un soldat du train, nous irons pour rien. — Et nous lui donnerons encore la soupe ! » dit le second. Je leur témoignai ma reconnaissance en leur disant que l’on voyait bien qu’ils étaient Français. Ils prirent une chaise de bois pour transporter le malade, et nous partîmes, mais, comme je marchais avec peine, ils me donnèrent le bras. Je leur contai la triste position de Faloppa, qu’il faudrait abandonner à la merci des Russes : « Comment, des Russes ? dit un soldat du train. — Certainement, lui dis-je, les Russes, les Cosaques seront ici peut-être dans quelques heures ! » Ces pauvres soldats pensaient qu’il n’y avait que le froid et la misère qui nous accompagnaient.

Entrés dans l’écurie, nous trouvâmes le pauvre diable de Piémontais couché de tout son long derrière la porte. On le mit sur la chaise et, de cette manière, il fut transporté au nouveau logement. Lorsqu’il fut couché près du poêle, sur de la bonne paille, il se mit à prononcer quelques mots sans suite. Alors je m’approchai pour écouter ; il n’était plus reconnaissable, car il avait toute la figure ensanglantée, mais c’était le sang de ses mains, qu’il avait mordues ou voulu manger ; sa bouche était aussi remplie de paille et de terre. Les deux femmes en eurent pitié, lui lavèrent la figure avec de l’eau et du vinaigre, et les soldats allemands, honteux de n’avoir rien fait comme les autres, le déshabillèrent. L’on trouva dans son sac une chemise qu’on lui mit en échange de celle qu’il avait sur lui, et qui tombait en lambeaux ; ensuite on lui présenta à boire : il ne pouvait plus avaler et, par moments, serrait tellement les dents, qu’on ne pouvait lui ouvrir la bouche. Ensuite, avec ses mains, il ramassait la paille, qu’il semblait vouloir mettre sur lui.