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un vieux grenadier à cheval de la Garde impériale, à pied, dans ce moment, les moustaches et la barbe couvertes de glaçons et enveloppé dans son grand manteau blanc, je lui dis, toujours sur le même ton : « Camarade, je vous en prie, puisque vous êtes, comme moi, de la Garde impériale, secourez-moi ; en me donnant une main, vous me sauvez la vie ! — Comment voulez-vous, me dit-il, que je vous donne une main ? Je n’en ai plus ! » À cette réponse, je faillis tomber en bas du tas de glace. « Mais, reprit-il, si vous pouvez vous saisir du pan de mon manteau, je tâcherais de vous tirer de là ! » Alors il se baissa, j’empoignai le pan du manteau. Je le saisis de même avec les dents et j’arrivai sur le chemin. Heureusement que, dans ce moment, l’on ne marchait pas, car j’aurais pu être foulé aux pieds, sans, peut-être, pouvoir jamais me relever. Lorsque je fus bien assuré, le vieux grenadier me dit de me tenir fortement à lui, afin de ne pas en être séparé, ce que je fis, mais avec bien de la peine, car l’effort que je venais de faire m’avait beaucoup affaibli.

Un instant après, l’on commença à marcher. Nous passâmes près de trois chevaux abattus, dont le caisson était renversé dans le fleuve. C’est ce qui occasionnait le retard dans la marche ; enfin, nous arrivâmes au point où le défilé s’élargissait et où chacun pouvait marcher plus à l’aise.

À peine avions-nous fait cinquante pas au-delà, que le vieux brigadier me dit : « Arrêtons-nous un peu pour respirer ! » Je ne demandais pas mieux. Alors il me dit : « Je viens de vous rendre un service. — Oui, un bien grand, vous m’avez sauvé la vie. — Ne parlons plus de cela, continua-t-il ; je vous ai dit que je n’avais plus de mains, c’est de doigts que j’ai voulu dire ; ils sont tous tombés, ainsi c’est tout comme. Il faut qu’à votre tour vous me rendiez un autre service. J’ai, depuis quelque temps, envie de satisfaire un besoin naturel que je n’ai pu faire, faute d’un second. — Je vous comprends, mon vieux, heureux de pouvoir m’acquitter envers vous ! » Aussitôt, nous nous mîmes à quelques pas, sur le côté de la route, et de la main que j’avais encore bonne, je parvins, non sans peine, à défaire ses pantalons. Une fois la besogne finie, je voulus lui refaire, mais la chose me fut impossible et, sans un