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était à plus d’une lieue devant, nous continuâmes à nous traîner. Nous fûmes bien heureux, ce jour-là, que le froid n’était pas rigoureux, car plus de dix fois nous tombâmes sur la neige, de lassitude, et certainement, s’il avait gelé comme le jour précédent, nous y serions restés.

Après avoir marché, pendant un certain temps, au milieu d’hommes isolés comme nous, nous aperçûmes, devant nous, une ligne mouvante ; nous reconnûmes que c’était une colonne paraissant fort serrée, qui, par moments, marchait, ensuite s’arrêtait pour se mouvoir encore. Nous pûmes reconnaître qu’en cet endroit se trouvait un défilé. La route se trouve resserrée, à droite, sur une longueur de 5 à 600 mètres, par un monticule dans lequel elle a été coupée, et, à gauche, par un fleuve très large que je pense être le Niémen. Là, les hommes, forcés de se réunir en attendant que quelques caissons qui venaient de Wilna aient pu passer, se pressaient, se poussaient en désordre : c’était à qui passerait le premier. Beaucoup descendaient sur le fleuve couvert de glace pour gagner la droite de la colonne ou la fin du défilé. Plusieurs, qui se trouvaient tout à fait sur le bord, furent jetés en bas de la digue qui était perpendiculaire et qui, en cet endroit, avait au moins cinq pieds de haut ; quelques-uns furent tués.

Lorsque nous fûmes arrivés à la gauche de cette colonne, il fallut faire comme ceux qui nous précédaient, il fallut attendre. Je rencontrai un sergent des vélites de notre régiment, nommé Poumo, qui me proposa de traverser le fleuve avec lui, en me disant que, de l’autre côté, nous trouverions des habitations où nous pourrions passer la nuit, et qu’ensuite, le lendemain au matin, étant bien reposés, nous pourrions facilement gagner Kowno, car il n’y avait plus, disait-il, que deux lieues au plus. Je consentis d’autant plus à sa proposition, que je ne me sentais plus la force d’aller loin, et puis l’espoir de passer la nuit dans une maison, avec du feu ! Je dis à Faloppa de nous suivre. Poumo descendit le premier ; je le suivis en me laissant glisser sur le derrière, mais, lorsque j’eus fait quelques pas sur la neige qui recouvrait le fleuve par gros tas, je vis l’impossibilité d’aller plus loin. Alors je fis signe à Faloppa, qui n’était pas encore descendu, de rester, car je venais de reconnaître