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de la graisse, afin de pouvoir faire la soupe et accommoder des haricots. L’individu nous répondit que, pour de l’or, on n’en trouverait pas dans toute la ville. Un instant après, nous fûmes à l’appel. Je laissai Faloppa faire la cuisine et je chargeai un autre homme de chercher, dans la ville, du beurre ou de la graisse, mais on n’en trouva pas. Lorsque nous rentrâmes, la première chose que Faloppa nous dit, en rentrant, fut que le bourgeois était un coquin : « Comment cela ? lui dis-je. — Comment cela ? Nous répondit-il, voyez !… »

Il me montra trois petits pots en grès contenant de la belle graisse que nous reconnûmes pour de la graisse d’oie. Alors chacun se récria : « Voyez-vous le gueux d’Espagnol ! Voyez-vous le coquin ! » Notre cuisinier avait fait une bonne soupe et, dans le dessus de la marmite, il avait accommodé des haricots. Nous nous mîmes à manger sous une grande cheminée qui ressemblait à une porte cochère, lorsque l’Espagnol rentra, enveloppé dans son manteau brun et, nous voyant manger, nous souhaita bon appétit. Je lui demandai pourquoi il n’avait pas voulu nous donner de la graisse en payant, puisqu’il en avait. Il me répondit : « Non, Señor, je n’en avais pas ; si j’en avais eu, je vous en aurais donné avec plaisir, et pour rien ! » Alors Faloppa, prenant un des petits pots, le lui montra : « Et cela, ce n’est pas de la graisse, dis, coquin d’Espagnol ? » En regardant le petit pot, il change de couleur et reste interdit. Pressé de répondre, il nous dit que c’était vrai, que c’était de la graisse, mais de la manteca de ladron (de la graisse de voleur) ; que lui était le bourreau de la ville, et que ce que nous avions trouvé et avec quoi nous avions fait de la soupe, était de la graisse de pendus, qu’il vendait à ceux qui avaient des douleurs, pour se frictionner.

À peine avait-il achevé, que toutes les cuillers lui volèrent par la tête ; il n’eut que le temps de se sauver, et aucun de nous, quoiqu’ayant très faim, ne voulut plus manger des haricots, car la soupe était presque toute mangée. Il n’y avait que Faloppa qui continuait toujours, en disant que l’Espagnol avait menti : « Et quand cela serait ? dit-il, la soupe était bonne et les haricots encore meilleurs ! » En disant cela, il m’en offrait pour en goûter, mais un mal de